choix

Intuition VS raison : qui gagne ?

Dans cet article, je vais vous prouver que vous pensez avec votre queue ! Et OUI, même si vous n’avez rien qui pendouille entre les jambes. Croyez-moi, ça va vous choquer. Mais pas pour les raisons auxquelles vous pensez !

Voici trois expériences qui vont remettre en cause tout ce que vous croyez sur la façon dont vous faites vos choix. Mais je vous préviens, cet article n’est pas pour les petites natures. Il pourrait bien vous mettre le cerveau tellement à l’envers que vous aurez du mal à vous en remettre.

Images subliminales

Il y a exactement 8 ans, je vous ai parlé d’une étude sur les images subliminales.

Dans cette étude, on projetait à des sujets des formes géométriques de façon extrêmement rapide. La forme était visible à l’écran pendant seulement 1 ms. C’était si rapide que les sujets étaient complètement incapables de dire quelles formes ils avaient vues.

Pourtant, une partie inconsciente de leur cerveau avait quand-même eu le temps de les voir. La preuve, c’est que dans la 2ème phase de l’expérience, on leur a présenté un assortiment de formes géométiques. Cette fois, ils avaient tout le temps qu’ils voulaient pour les voir. Parmi ces formes, il y avait celles qu’on leur avait projetées sous forme d’images subliminales dans la 1ère phase de l’expérience, mais il y avait aussi d’autres formes, qu’on ne leur avait pas montrées.

Les expérimentateurs ont demandé aux sujets de choisir les formes qu’ils préféraient. Et la majorité d’entre eux ont choisi l’une des formes qu’on leur avait projetées sous forme d’images subliminales.

Il y a plusieurs conclusions à tirer de cette étude. Mais pour cette vidéo, la seule qui m’intéresse, c’est que la préférence pour l’une ou l’autre des formes géométriques venait de raisons complètement inconscientes. Il n’y a pas besoin de faire intervenir la conscience pour prendre une décision.

Le jus d'orange mouchisé

Ensuite, dans ma vidéo sur la pensée magique, je vous ai parlé de Paul Rozin qui mettait des mouches dans des verres de jus d’orange avant de les proposer à ses sujets. Et sans surprise, personne ne voulait de son jus d’orange plein de mouches. Alors le chercheur leur demandait pourquoi, et les gens répondaient que les mouches c’est dégueulasse, ça mange du caca et c’est plein de microbes.

Alors Paul Rozin, pour faire disparaître ces objections, stérilisait les mouches avant de les mettre dans son jus d’orange. Ou alors il prenait des mouches en plastique bien nettoyées. Mais les gens refusaient quand-même son jus d’orange. Et quand on leur demandait pourquoi, ils n’avaient plus d’arguments. Mais ils refusaient quand-même de boire le jus d’orange. Même si ce n’était plus dangereux, ils trouvaient quand-même ça dégoûtant.

Donc là aussi, nous avons un exemple de décision qui est prise de façon totalement indépendante de la raison.

Vous croyez être rationnel.le ? Vous avez tort.

Voilà de quoi tirer deux premières balles dans le modèle rationaliste de la prise de décision. Ce modèle présuppose que nous prenons nos décisions après y avoir réfléchi, après avoir pesé les arguments pour et contre. Avouez-le, c’est ce que vous pensez, vous aussi. Vous êtes persuadé.e que vos choix sont basés sur des éléments rationnels.

Quand vous décidez d’acheter telle voiture plutôt qu’une autre, ou de voter pour tel candidat plutôt qu’un autre, c’est parce que vous y avez mûrement réfléchi, hein ? Parce que c’était le choix le plus rationnel... Eh bien je vais vous prouver en direct qu’au moins dans certains cas, vous prenez votre décision avant d’y réfléchir.

Julie et Mark Lannister

Julie et Mark sont frère et sœur. Ils voyagent ensemble en France pendant leurs vacances d'été à l'université. Une nuit, ils se retrouvent seuls dans une cabane près de la plage. Ils décident que cela serait intéressant et amusant d'essayer de faire l'amour. Au moins, cela constituerait une nouvelle expérience pour chacun d'eux. Julie prenait déjà la pilule contraceptive, mais Mark utilise également un préservatif, juste pour être prudent. Ils prennent tous les deux du plaisir à faire l'amour, mais décident de ne pas répéter l'expérience. Ils gardent cette nuit-là comme un secret spécial, ce qui les rapproche encore davantage l'un de l'autre.

Qu'en pensez-vous ? Était-il approprié pour Mark et Julie de faire l'amour ?

Vous êtes coincé.e sans argument...

Si vous êtes comme moi, et comme la plupart des sujets de l’étude que Jonathan Haidt a menée en 2001, vous pensez que non. Ce qu’ont fait Mark et Julie n’était absolument pas approprié.

Oui, mais pourquoi ?

  • Vous pensez peut-être aux problèmes de consanguinité ? Sauf que l’histoire précise bien que ce n’est pas possible puisque les frère et sœur ont prévu le coup et utilisé une double précaution contraceptive. Donc l’argument ne tient pas.
  • Vous pensez peut-être aussi aux dégâts émotionnels que ce genre d’acte peut provoquer. C’est clair, une relation entre frère et sœur, on se dit que ça laisse forcément des marques. Mais là aussi, l’histoire précise bien que ça leur a plu. Donc cette raison ne tient pas non plus…
  • Si vous pensez que c’est illégal, eh bien non. Pas en France.
  • Et si vous pensez que c’est dégoûtant, moi aussi. Mais ce n’est pas un argument non plus. Sinon, il y aurait plein d’autres actes privés que plein de monde trouve dégueu qui seraient interdits... Comme dire "au jour d’aujourd’hui" ou serrer la main d’Emmanuel Macron.

Vous l’aurez compris, malgré le fait qu’on soit tous d’accord pour affirmer que ce qu’ont fait Mark et Julie n’est pas très funky, il n’existe pas de raison rationnelle pour justifier notre jugement moral de cette situation.

Conclusion : nous avons tous émis un jugement moral sans y réfléchir. Nous avons fait le choix de penser que l’acte de ces frère et sœur est mal. Puis, ensuite, et seulement parce qu’on nous l’a demandé, on a fait l’effort d’y réfléchir. Et malgré l’absence d’arguments, on s’est accrochés à notre décision.

Objection !

Ça fait mal, de s’en rendre compte. On déteste se dire qu’on agit sans raison rationnelle. C’est très cartésien, comme réaction. Très occidental. C’est pour ça que je m’attends à quelques objections dans les commentaires. Plus vous avez envie de vous voir comme quelqu’un de rationnel, plus vous allez chercher à déployer des arguments pour le prouver. Mais là aussi… vous avez fait le choix de vous percevoir comme quelqu’un de rationnel en dépit des arguments que je vous ai présentés. Et, malgré tout, vous avez décidé de les ignorer pour continuer à croire ce que vous avez envie de croire…

Alors bien sûr, je ne suis pas en train de dire que toutes vos décisions sont irrationnelles. Heureusement, il existe plein d’exceptions. Tout ce que cette étude prouve, c’est qu’il existe au moins certains cas où vous ne réfléchissez pas avant de prendre votre décision. Et que faire intervenir le raisonnement n’est pas nécessaire pour prendre une décision.

Les publicitaires l’ont bien compris. En marketing, il existe une loi qui dit que les gens achètent avec l’émotion, puis justifient leur achat avec leur raison. Si vous achetez une Mercedes plutôt qu’une Dacia, soyez honnête, ce n’est pas pour le confort de conduite. Ce n’est pas pour la meilleure sécurité. Ce n’est pas pour la puissance du moteur. Ça, ce sont les raisons que vous vous donnez à vous-même pour justifier votre choix. La vraie raison, elle est émotionnelle. Vous voulez être le genre de personne qui conduit une Mercedes.

Pourquoi pensez-vous avec votre queue ?

Pour finir, mettons fin au suspens. Dans l’introduction de cette vidéo, je vous ai dit que vous pensez avec votre queue. C’est parce que l’article où Jonathan Haidt développe ses objections au modèle rationaliste s’appelle le chien émotionnel et sa queue rationnelle. Donc rien à voir avec ce que votre esprit mal tourné imaginait…


Citation du jour

« Ce ne sont pas les évènements qui troublent les hommes, mais l'idée qu'ils s'en font. »

Epictète